Détail d'un disque de la discothèque du M'O+

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Les mentions soulignées indiquent les inédits dans les banques de données du M'O au moment de la rédaction
Titre du CD Michael Prætorius. Pro Organico
Interprète(s) Jean-Charles Ablitzer (FR)
Éditeur Leo
Numéro d'édition 06005
Site de l'éditeur deest
Format audio DDD
Date d'enregistrement 27-28 VI 2005
Minutage total 58:59
Date de réception au M'O 08/05/2006
Livret 40 pages + 6 pages de Digipack (F, D, GB); photo(s) de l'instrument: 7, composition, pas de registrations
Orgue(s) et/ou instrument(s) Tangermünde (DE), St. Stephanskirche
Compositeur(s) Michael Praetorius
Descriptif orgue(s)Tangermünde, D, St. Stephanskirche. Scherer (D) 1624/Schuke (D) 1994. III/32
Accord orgue(s)545 dans l'échelle de La Rasette razette
ProgrammeMichael Praetorius
1. O lux beata Trinitas
2. A solis ortus cardine
3. Summo parenti gloria
4. Wir glauben all' an einen Gott
5. Alvus tumescit virginis
6. Nun lob mein Seel den Herren
7. Christ, unser Herr, zum Jordan kam
8. Te mane laudum carmine
9. Vita sanctorum
10. Ein' feste Burg ist unser Gott

CommentaireIl est bien vrai que la réputation de Michael Praetorius, mort la même année que Sweelinck, est presque exclusivement celle d'un théoricien, auteur des trois volumes du célèbre (1615, 1618, 1619). Seuls quelques spécialistes de la musique ancienne connaissent ses Musæ Sioniæ (neuf volumes, comprenant quelque 1200 pièces de musique vocale et instrumentale!). Ceci est le premier enregistrement de son œuvre d'orgue dans son entier, tel qu'il fut publié en 1990 par l'infatigable Klaus Beckmann, soit trois fantaisies de choral, une variation de choral et six Hymnes. Le nombre d'inédits cité ci-dessus prouve bien que Jean-Charles Ablitzer avait raison de combler cette lacune (seules trois de ces pièces avaient déjà été enregistrées, dont la plage 10 en 1998 par un certain... Jean Ferrard). Car c'est de la musique de qualité, qui s'inscrit en grandes notes dans l'histoire de l'orgue allemand avant Bach.
Une question reste posée, et je m'étonne de ne pas la voir énoncée - et a fortiori résolue - par tous ceux qui ont écrit sur Michel Praetorius, que ce soient les deux grands dictionnaires (MGG et Grove) ou les ouvrages de base (Apel, Beckmann - autant son Repertorium Orgelmusik que la préface de son édition musicale - et même le Guide de la musique d'orgue de Cantagrel) ou le livret pourtant étoffé de ce CD, personne ne dit mot des neuf préludes de chorals dont je trouve le titre dans Cosa suono Oggi? d'Assandri (cf M'O 46/24), et qui sont publiés dans plusieurs collections, chez cinq éditeurs différents. On pourrait mettre en doute ces données, mais ce qui est perturbant, c'est la présence de l'enregistrement d'un de ces chorals dans la discothèque du M'O...
Venons-en au CD qui m'est arrivé par des voies inhabituelles: j'en ai entendu parler par Guy Bovet - qui sait de quoi il parle - en termes fort élogieux, mais ne l'avais reçu de la part d'aucun éditeur ou distributeur. M'adressant directement à l'interprète, je reçus de lui un long message, expliquant qu'il avait hésité à me communiquer cet enregistrement auto-produit, «car je sais que vous n'avez pas toujours beaucoup apprécié mon travail dans les années 90». Je réponds: «j'apprécierais beaucoup que vous me considériez parmi les amateurs éclairés et serais heureux de recevoir ce CD. Disons, si vous voulez, que je n'en parlerai dans le M'O que si mon enthousiasme rejoint ou dépasse celui de Guy?». Le CD m'arrive enfin avec cette remarque: «Je suis heureux de vous envoyer ce CD Praetorius, puisque vous avez envie de l'écouter tout simplement. En fait, il a été fait pour cela et rien d'autre, pour partager avec ceux qui en ont envie. Si vous l'écoutez avec une oreille trop critique, peut-être serez vous déçu. Mais je l'ai enregistré avec conviction, je dirais aussi amour, en deux petites soirées après y avoir beaucoup pensé, et je pense que son premier mérite est de faire connaître et partager une musique d'une extraordinaire qualité.»
Ce CD m'a donné du plaisir: d'abord par sa présentation, soignée dans le détail, réalisée avec goût, bien documentée, tant dans le texte que dans les illustrations. Ensuite aussi, par la musique. Sans doute à cause d'une écriture un peu archaïsante des Hymnes, je garde une nette préférence pour les chorals, de très grande proportions, voire, comme le dit Georges Guillard «gigantesques», qui sont véritablement les premiers jalons d'une des formes les plus magnifique de la littérature pour orgue: la fantaisie de choral nord-allemande. Aussi bien dans la grande forme que dans la richesse du détail, ces compositions procurent à l'auditeur - et à l'interprète, cela va sans dire - des joies sans fin, et chaque audition, comme chaque visite au portail d'une cathédrale ou à un tableau de Jérôme Bosch, Breughel ou Rembrandt, révèle de nouveaux traits de génie, des inventions jusque là insoupçonnées.
Pour jouer ces dix grandes fresques, Jean-Charles Ablitzer, en l'absence d'un grand orgue de Compenius, facteur avec qui Praetorius eut des contacts fréquents, a choisi le magnifique Scherer (1624) de Tangermünde: des sonorités grandioses dans le plenum, des détails d'un raffinement extrême, des possibilités de registrations sans fin, que l'organiste ne se prive pas d'utiliser, dans une musique qui ne demande que ça, à moins qu'elle ne l'exige... On sent qu'Ablitzer est habité par cette musique: coloriste et sensible aux subtilités du toucher et de l'articulation, il donne vie à ses pages - dont il a lui-même transcrit le texte au départ de l'original publié en parties séparées comme l'est la musique de chambre instrumentale de l'époque - avec raffinement et discrétion. Vous me connaissez assez pour savoir que, si ce CD ne reçoit «qu'un coup de chapeau», c'est que j'ai une réserve à formuler. Elle tient, justement, au «cœur». Ablitzer, cela se sent, a mis tout son cœur dans son travail, et moi, je mets le mien dans le mien (est-ce clair?): ma critique, c'est inévitable, repose sur mes propres sentiments, mes propres options d'interprète. N'est-ce pas pour cela qu'elle prend, éventuellement, un soupçon de valeur, à côté de celles des critiques qui ne «mouillent pas leur chemise»? Eh bien, pour jouer Praetorius, je prendrais - que dis-je: j'ai pris! - des options plus décoratives dans le jeu, donnant encore plus d'élan à certains passages et moins à d'autres, sacrifiant encore plus d'effets au stilus fantasticus, là où Jean-Charles Ablitzer préfère une certaine mesure -, je ne parle pas évidemment de celle du métronome! - une réserve un peu germanique. C'est là sans doute ce qui nous sépare: j'aime un jeu plus latin, il préfère un certain ordre nordique. L'un et l'autre sans excès, et avec conviction. Ne devrais-je pas craindre, parlant de musique nord-allemande d'avoir tort? Tout compte fait, s'il fallait situer le jeu d'Ablitzer entre les débordements méridionaux et les rigueurs nordiques, sans doute exprimerait-il cette fameuse Virtu qui, dit-on, marche entre les excès, au milieu du chemin! C'est pourquoi, respectant mon engagement, je vous parle aussi longuement de ce CD: mon enthousiasme a rejoint celui de Guy Bovet.
Le problème principal de CD, c'est, hélas, que tous les exemplaires en ont été vendus, et qu'un tout petit éditeur hésite toujours à procéder à un retirage. Une dernière citation de l'éditeur-interprète: «Si la demande était très forte dans l'avenir, il faudrait peut-être que je me décide à faire un retirage, mais il s'agit bien d'un digipack, et la quantité minimum est de 500 pièces. C'est beaucoup, car il faut consacrer du temps et de l'énergie pour la vente! Il est certain aussi que le sujet ne concerne pas la totalité des mélomanes et musiciens. Le résultat obtenu jusqu'à présent tient du miracle! Il est également porteur de réconfort et d'espoir en un temps où tout le monde s'accorde à constater l'état actuel de crise concernant la musique d'orgue et la désaffection du public.».

PS: Entre la rédaction de ce commentaire et la finalisation du M'O, un dernier contact avec Jean-Charles Ablitzer apporte une excellente nouvelle: ce CD va être repris par la maison Alpha, qui va l'inclure dans son catalogue. Il n'est pas encore possible de préciser la date de parution de ce nouveau tirage du CD, et encore moins de le proposer dans la Boutique de ce M'O. Mais vous trouverez sur le site du M'O la possibilité d'y souscrire, et d'être parmi les premiers prévenus lors de la sortie.

[M'O 89-90/39]

PPS: le CD Alpha est sorti en 2007. Lisez-en la présentation sous CD_2112. De plus, Jean-Charles Ablitzer a publié une brochure sur l'orgue de Gröningen, décrit par Michael Praetorius dans son Syntagma Musicum: voyez B_8931.
Date du commentaire25/03/2010
  
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